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NOUVELLE MISE A JOUR LE 15 avril 2014

mardi 8 décembre 2009

Le 152e RI dans LA SECONDE BATAILLE DE LA MARNE

DEVANT LA RUÉÉ BOCHE
Bois de Bonnes, Monthiers, Belleau, Torcy, Lucy-le-Bocage (30 mai-4 juin 1918)
A Belleau les heures sont graves. Tout cède devant Attila.
Mais le vieux, Quinze-Deux est là. La vague meurt devant ses braves. (Chant du régiment.)

Ce n'est que dans la deuxième quinzaine de décembre que le 15-2 quitta Verdun. Il devait embarquer pour la Lor­raine après un court séjour à Louppy-le-Petit (Meuse). Le 15-2 avait espéré jusqu'au dernier moment qu'on lui réser­verait quelque secteur de la Thur, et qu'il passerait le qua­trième hiver de la guerre, comme lés hivers précédents, au milieu de ses amis alsaciens. Il n'en fut rien. Ce fut dans la région le Lunéville que le 15-2 devait vivre pendant quatre mois dans l'attente de la grande offensive allemande. L'année 1918 s'annonçait comme la dernière année 'de la guerre. L'inquiétude était grande chez les Alliés. Ils savaient qu'ils ne seraient pas en mesure de passer à l'offensive avant que l'armée américaine fût au point. Par contre, le Boche, qui avait hâte d'en finir, était bien décidé à profiter de la défection russe pour prendre, avant l'arrivée de l'armée Per­shing, une vigoureuse offensive sur le front anglo-français. La question était de savoir sur quelle partie du front il dé­clencherait ses attaques massives. Les avis étaient partagés. La prudence conseillait en tout cas de redoubler partout de vigilance et d'activité. Le 15-2 aurait pu couler des jours heureux, dans le secteur relativement calme de la forêt de Parroy. Le 15-2 fit au contraire comme si ce secteur de Lorraine, négligé depuis le début des hostilités, et qui n'a­vait été le théâtre que de quelques coups de main sans importance, devait recevoir le terrible choc. Les organisa­tions défensives, d'ailleurs assez précaires, étaient presque exclusivement, limitées à la première ligne. Les abris, tout en superstructure, n'offraient aucune sécurité. Certes, les projets ne manquaient pas ni les plans. Mais la main-d'œuvre avait toujours fait défaut dans ce secteur très étendu, et les troupes qui y séjournaient étaient à peine assez nombreuses pour garnir les tranchées et en assurer l'entretien. Le 15-2 devait en quelques mois; grâce à un labeur continu, changer du tout au tout la physionomie du terrain. Tandis que les bataillons en ligne, principalement le bataillon d'Emberménil, repoussaient de violents coups de main, exécutés à la faveur de barrages a obus à gaz (le Boche multipliait ses coups de sonde sur tous les points du front, aussi bien pour tâter l'adversaire que pour l'obliger à se tenir partout sur ses gardes), le bataillon de réserve s'attelait à une be­sogne écrasante et, en quelques semaines, transformait un simple tracé en une position de soutien solide, aux tran­chées profondes, aux défenses minutieusement combinées, aux abris relativement sûrs : la position 1 bis.

Ce n'est pas en Lorraine que les Boches déclenchèrent leur première et foudroyante offensive de 1918, mais tandis qu'ils réussissaient en direction d'Amiens à percer le front anglais et à couper l'armée britannique de l'armée française, ils se livraient sur tous les points du front à une activité inaccoutumée, dans lé but évident de nous dérouter et de -nous contraindre à éparpiller nos réserves. Plusieurs jours, ils bombardèrent le secteur de Lunéville avec violence; et usèrent très largement des obus à ypérite. Le 15-2 ne bron­cha pas. De pied ferme, il attendit l'attaque. Cette attaque n'eut pas lieu. Le sort du régiment était clair. L'ère des grandes batailles commençait. Puisqu'il ne se passait rien en Lorraine, le 15-2 n'y resterait pas.

Et de fait, quelques semaines plus tard, le régiment était relevé à Marainviller par le 171e régiment d'infanterie. Avant son départ, il avait exécuté en avant de Vého un très brillant coup de main: L'honneur de cette opération habilement menée, revint à la 11le compagnie que commandait un des plus jeunes officiers du 15-2, mais un des plus braves, un brillant cavalier devenu fantassin fer­vent, le lieutenant Hervé de La Rochefordière. La 11e com­pagnie fit merveille. Le 15-2 était en forme. Il n'allait pas tarder à montrer qu'il était toujours égal à lui-même.

Quelques jours avant son départ de Marainviller, le 15-2 avait perdu le colonel Barrard. Celui-ci, nommé sous-chef d'état-major du général de Castelnau, avait brusquement quitté le régiment et cédé sa place au chef d'état-major de la 164e division, le lieutenant-colonel Meilhan.

Ainsi, le colonel Meilhan était appelé à prendre le com­mandement du 15-2 à l'heure où la bataille avait repris entre les Alliés et l'Allemagne, plus violente, plus âpre que jamais. Le colonel Meilhan mesurait d'avance la somme d'efforts qu'on allait demander en 1918 à son régiment. Il était sûr que tout le monde ferait son devoir. Mais il n'eût pas osé rêver, à ce moment, qu'il allait vivre un si splendide lendemain, conduire le 15-2 de succès en succès et avoir la joie immense et méritée de fêter avec lui la victoire. Le colo­nel Meilhan n'ignorait pas la popularité du colonel Barrard et les regrets qu'il avait laissés au régiment. Il ne tarda pas à prouver au 15-2 qu'une fois de plus on l'avait gâté, et qu'on avait mis à sa tête un chef digne de lui. Cet homme du monde, qu'on pouvait croire hautain et distant, fut, comme le colonel Barrard, l'ami du poilu, l'ardent défenseur de ses intérêts, le gardien jaloux de sa gloire. Dès les pre­miers jours, il se donna tout entier à son régiment. S'il eut quelques regrets à quitter le petit béret de chasseur dont il ne s'était pas séparé depuis le début de la guerre, ce fut avec une joie réelle qu'il arbora, dès sa prise de commandement, le képi or et rouge du` fantassin. Les lignards du 15-2 lui surent gré de ce geste. L'élégance du colonel Mailhan fit école. Le 15-2, plus fier que jamais, plus pimpant, plus alerte, conserva en 1918, malgré 'les fatigues d'une vie errante et l'absence presque totale de repos, cette allure dégagée, cette irréprochable tenue, que les Parisiens avaient admirées le 14 juillet 1917.

Comme le 15-2 se préparait à quitter son cantonnement d'Haussonville en avril 1918, une terrible épidémie de grippe s'abattit sur la 164e division et l'immobilisa plu­sieurs semaines dans la région de Lunéville. Le 15-2, après avoir échappé longtemps à l'épidémie, fut frappé à son tour Les hommes tombaient les uns après les autres, et chaque jour il fallait en évacuer un grand nombre. Mais le temps pressait, et il n'était pas possible de laisser plus longtemps inoccupée une division d'élite et de choc. Il fallut partir. Le 15-2 embarqua à Bayon. Quand il arriva dans l'Oise, après deux journées dé chemin de fer, il dut laisser surplace un nombre considérable de nouveaux « dingués » (c'est ainsi qu'on appelait les fiévreux). L'état sanitaire du régi­ment était inquiétant. Pendant trois jours, le 15-2 dut effec­tuer par une chaleur accablante de longues et pénibles mar­ches. A chaque étape, il laissait du monde. Serait-il engagé quand même? Il le fut, et pour cause!

Comme la plupart des divisions disponibles, la 164e avait été envoyée dans la Somme. Elle devait attendre à pied d’œuvre la nouvelle offensive allemande qui, après toutes les probabilités - les Boches avaient admirablement ca­ché leur jeu - devait avoir Amiens pour premier objectif, et pour but de rejeter les armées alliées à la mer. On sait ce qui se passa. Le 27 mai, comme le régiment stationné à Aumale se préparait à faire une quatrième et dernière étape, la nouvelle se répandit brusquement de la seconde et fou­droyante avance boche dans l'Aisne. Les Allemands avaient attaqué par surprise sur le Chemin des Dames, bousculé en quelques heures les faibles garnisons qui occupaient le sec­teur, passé le canal de l'Aisne, traversé l'Aisne même par endroits. Et les communiqués qui annonçaient « un repli stratégique sur des positions solidement organisées » ren­daient cette fois un son lugubre. Il n'en fallait pas douter, la 164e serait désignée pour barrer la route à l'envahisseur. Dès le 29, en effet, le 15-2 faisait demi-tour. Les trois ba­taillons et la C. H. R. embarquaient dans la nuit, à plu­sieurs heures d'intervalle, à destination du champ de ba­taille de l'Aisne, champ de bataille qui changeait à toute heure, l'ennemi ne rencontrant sur son chemin que des résistances de fortune.

Le 30 mai, à 11 heures, le 1er bataillon du 15-2 et l'état­ major du régiment débarquaient à Neuilly-Saint-Front. Le train ne pouvait pas aller plus loin. Déjà les employés avaient évacué la gare. Les Allemands avançaient toujours. Ils avaient franchi l'Aisne, franchi la Vesle, étaient rentrés dans Fismes et dans Soissons. Ils avaient dépassé Fère-en­-Tardenois. Ils menaçaient Château-Thierry. La situation était critique et pour beaucoup désespérée. Jetées succes­sivement dans la mêlée, les divisions françaises étaient dévorées les unes après les autres. Quel allait être le sort de la 164e? Qu'allait devenir le 15-2? Neuilly-Saint-Front était sur le point d'être évacué. Les routes étaient encom­brées de convois d'artillerie, de camions-autos, de blessés et de traînards qui refluaient vers l'arrière. Spectacle lamentable, spectacle navrant, qui tirait des yeux des larmes de colère. Etait-ce la débâcle? Était-ce la défaite? Les poilus du 15-2 ne disaient rien. Bientôt les ordres arrivèrent. Il n'y avait qu'un bataillon à pied d’œuvre. Tant pis. Le 15-2 ne se reformerait pas. Il serait engagé par bataillons successifs.

Dès le 30 au soir, le 1er bataillon (commandant Marnet) se porte en avant de Bonnes. Il a pour mission de défendre coûte que coûte le bois de Bonnes. Couvert seulement à sa droite par un peloton de, l'escadron divisionnaire, il s'ins­talle en position d'attente. Tout fait prévoir que le lende­main la lutte sera vive. Devant lui, le 1er bataillon n'a plus que des groupes d'hommes sans chefs, qui retraitent en désordre. Ces hommes, en traversant nos lignes, racontent ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont fait: Le 'Boche avance tou­jours. Il est impossible de l'arrêter. Le ter bataillon rassuré par le calme et le sang-froid peu communs de son chef, le commandant Marnet, affecte dé ne pas s'émouvoir. Le Boche peut venir, il sera bien reçu. Le 31 au petit jour, le Boche est là. Il attaque une première fois, puis une seconde, puis une troisième. Chaque fois, il subit de grosses pertes et n'obtient aucun résultat. Étonnés de cette résistance, les Allemands font donner leur artillerie. Celle-ci bombarde sans arrêt le bois de Bonnes. Les poilus du 15-2 sont bien en main. Ils tiennent bon. De violents assauts à la baïon­nette sont repoussés par la 1re compagnie (lieutenant Guil­laume), avec une vigueur qui déconcerté l'adversaire. Le moral des hommes est admirable. Tout le monde comprend la gravité du moment, et personne ne veut désespérer. C'est le 31 mai, devant Bonnes, qu'un jeune sous-lieutenant nouvellement nommé, le lieutenant Cochenet, se dresse au plus fort de l'attaque, au milieu de ses hommes, et pour les encourager chante à pleins poumons le refrain du chant du 15-2. Détail qui ne manque pas de piquant, le sous­ lieutenant Cochenet chante horriblement faux. Il chante quand même, et ses hommes, ragaillardis, se battent comme des lions.

Même résistance acharnée, même imperturbable maîtrise de soi, sur le front du 2e bataillon. Ce bataillon, qui a dé­barqué le 30 au soir à Mareuil-sur-Ourcq, est en ligne le 31 au matin, à droite du bataillon Marnet. Divisé en deux' groupements, l'un commandé par le commandant Thiéry, l'autre par le jeune et brillant capitaine Piard-Deshayes, il est, comme le 1er bataillon, attaqué violemment toute la journée du 31'. Son front a plus de 4 kilomètres d'étendue. Le 2e bataillon, comme le 1er fait preuve d'une énergie et d'un esprit de sacrifice peu ordinaires.

A Bonnes, où le colonel Meilhan a installé son P. C., les renseignements manquent. On ne sait pas exactement ce qui se passe à droite et à gauche. C'est la guerre de mouve­ment, il n'y a pas de réseau téléphonique. D'ailleurs, les services du régiment sont incomplets: Les gros des pionniers et des téléphonistes fait partie du 4e train, le train de la C. H. R., et on n'a aucune nouvelle de ce train. En fin de journée, le 15-2 est rattaché à la 53e division et le colonel Meilhan reçoit l'ordre de transporter son P. C. à Monthiers.

C'est à Monthiers, à la tombée de la nuit, que le 3e ba­taillon d'abord, puis la C. H. R., après une marche de plus de 40 kilomètres, retrouvèrent le régiment. Les hommes étaient exténués, couverts de poussière, ruisselants de sueur. Était-il possible de leur demander un effort quel­conque? Apparemment non. Et pourtant il le fallut bien. Ce sont ces mêmes hommes du 3e bataillon (commandant Jenoudet) qui devaient le lendemain et le surlendemain, devant Belleau, écrire avec leur sang une des plus glorieu­ses pages de l'histoire du 15-2.

Ce n'est pas sans une émotion poignante que les survi­vants se reportent aujourd'hui à ces journées tragiques où, dans un pays charmant et jusqu'alors épargné par la guerre, ils assistèrent à ce triste spectacle de vieux paysans fuyant leurs demeures, de villages, le matin intacts, qui le soir n'étaient plus qu'un amas de ruines, de troupeaux affolés errant sur les grand'routes. Le matin du ter juin, lorsque le colonel Meilhan vint s'y installer, le coquet vil­lage de Belleau brillait au soleil printanier. Le soir, ce même village, où les Boches avaient pris pied, disparaissait dans la fumée de nos gros obus. Menacé d'être enveloppé à sa gauche, le 2e bataillon avait été obligé, dans la matinée du ter juin, de lâcher le plateau de Monthiers et de se replier sur Torcy. Sa retraite avait entraîné le reflux du 3e bataillon en arrière de Belleau.

Pendant cette rude journée, le 15-2 avait cédé du terrain. Mais il s'agissait d'un très léger recul et ce recul, le régiment l'avait effectué en combattant et dans un ordre parfait. Ce n'est pas même aux baïonnettes boches qu'il avait cédé, mais à la menace d'être tourné et pris à revers par un ennemi qui, manœuvrant à la perfection, cherchait à s'infiltrer aux ailes partout où la résistance faiblissait, où les liaisons manquaient.

Le 2 juin au matin, les Boches, qui profitaient de la nuit pour se reposer et amener leur artillerie à pied d’œuvre re­nouvelèrent leurs attaques devant le front des 2e et 3e ba­taillons. Cette journée fut pour le régiment la plus dure de toutes. Le colonel Meilhan, à qui le général Michel, com­mandant la 43e division, avait confié le commandement d'un groupement qui comprenait le 15-2, le 158 et plusieurs bataillons de différentes unités, avait passé le commande­ment du régiment au commandant du Bourg. Le comman­dant du Bourg était à la fois ravi et mécontent : ravi parce qu'il sentait plus que quiconque l'honneur qui lui était fait, mécontent parce qu'ayant un commandement, et quel commandement, il ne pouvait plus se proposer, comme il avait coutume de le faire, pour toutes les missions où l'on court le risque d'être tué.

Pendant toute la journée du 2 juin, le 2e et le 3e bataillons ne cessèrent d'être attaqués. Les Boches qui depuis le 26 mai, avaient avancé avec une extrême facilité, et qui depuis deux jours se heurtaient au contraire à une résis­tance farouche, les Boches mirent en action, le 2 juin, en plus de leur grosse artillerie, des minenwerfers de très gros calibres. Les minens s'écrasaient devant Torcy, mais les hommes du 2e bataillon ne bronchaient pas. Chaque fois que les Boches essayaient de progresser, ils trouvaient en face d'eux les fusiliers-mitrailleurs décidés, qui leur barraient le chemin. Sur le front du 3e bataillon, la bataille fut plus âpre encore. Lorsque le 2 au soir, le 2e bataillon, contraint de nouveau à lâcher pied, se replia dans la direction de Lucy-le-Bocage, et que le 158e dut céder dans le bois de Belleau à la pression des Allemands, le 3e bataillon, menacé d'être tourné à la fois à sa gauche et à sa droite, opposa à l'ennemi une résistance opiniâtre. Les 9e et 11e compagnies que commandaient deux officiers d'une rare bravoure, le capitaine Morel et le lieutenant de La Rochefordière, firent des prodiges et causèrent aux Allemands des pertes énormes. Mais tout l'honneur de cette journée revient aux héroïques mitrailleurs de la 3e C. M. (capitaine Mazuer), qui, chargés de protéger la retraite du bataillon, tirèrent jusqu'à la dernière cartouche, et furent tous tués sur place ou fait prisonniers. Le commandant Jenoudet, dont la fer­meté et le sang-froid avaient une fois de plus fait l'admira­tion de tous, pouvait être fier de son bataillon.

Le 2 juin au soir, le 15-2 tout entier se reformait en arrière de Lucy-le-Bocage. Le colonel Meilhan, qui était resté à Lucy, n'était plus protégé que par un mince rideau d'Américains. Si les Boches profitaient de la nuit pour exploiter leur succès, qui sait si Lucy-le-Bocage à son tour ne serait pas pris. Le colonel Meilhan dont l'attitude per­sonnelle et le calme réfléchi devaient rendre confiance à tous, - il était déséquipé et avait conservé son calot sur la tête, - fit appeler à son P. C. le commandant du Bourg et les trois chefs de bataillon du régiment. Coûte que coûte, il fallait défendre Lucy-le-Bocage. Le colonel Meilhan ne voulait pas, personne au 15-2 ne voulait non plus envisager un nouveau repli. Jamais le vieux dilemme « vaincre ou mourir » ne s'était posé à des hommes d'armes de façon plus impérative et plus nette. Il était impossible que le 15-2 pérît. Il vaincrait donc. Le colonel Meilhan le savait. Ses soldats le voulaient. Tant de confiance, alliée à tant de volonté, explique aujourd'hui pourquoi Lucy-le-Bocage resta entre nos mains.

Comme le colonel Meilhan préparait la défense du village la sonnerie du téléphone retentit. Le colonel prit l'appareil. Un instant son visage s'assombrit.

C'est entendu, mon général. Nous ferons pour le mieux. Le général Michel, commandant la division, venait de donner l'ordre au 15-2 de passer à la contre-attaque. Plus que quiconque le colonel Meilhan savait que son régiment était à bout de forces et que, si les hommes étaient décidés à se faire tuer sur place plutôt que de céder encore du ter­rain, les bataillons décimés, privés de la plupart de leurs cadres, n'étaient guère en mesure de mener un assaut. Le colonel Meilhan s'inclina. Il prépara avec un soin minutieux la contre-attaque qu'on lui demandait. Le lendemain 3 juin, le 15-2 dépassait la ligne des Américains et reprenait une grande partie du terrain perdu la veille.

L’œuvre du régiment était terminée. Jeté dans la ba­garre par bataillons successifs, le 15-2, pendant les journées homériques du 31 mai, du ter, du 2 et du 3 juin, avait subi le choc terrible d'un ennemi supérieur en nombre, que la victoire avait grisé. Cet ennemi, il l'avait obligé, dès le pre­mier jour, à composer avec lui. Et de fait, dès le 31 mai, le Boche n'avance plus avec la même aisance. Il se heurte à des hommes qui sont décidés à se faire tuer et qui ne déses­pèrent pas d'arrêter sa course. Il subit des pertes considérables, laisse sur le terrain des monceaux de cadavres. A son tour, il est épuisé. L'inquiétude le gagne. Il s'arrête.

La conduite du 15-2 à Bonnes et à Belleau avait été ma­gnifique. En trois jours, le régiment avait perdu près de 20 officiers et plus de 700 hommes. La récompense ne se fit pas attendre. Le général Michel obtint pour le 15-2 qui n'appartenait pourtant pas à sa division, mais dont il avait pu apprécier la valeur, une cinquième citation à l'ordre de l'armée.


Source : Historique anonyme du 152e R.I., Berger Levrault, Nancy